Les yeux bleus de l’Ibad
— Nous avons démarré un projet de recherche à propos de ces yeux totalement bleus, déclara Hawat. Ils ne sont pas totalement inconnus hors d’Arrakis, bien sûr. Vous vous souviendrez des scans de Piter de Vries, cette créature des Harkonnen.
— Le Mentat, dit le duc Leto.
— Il porte peut-être un autre titre, dit Hawat avec un haussement d’épaules. Le litige pour certains cas est que ces yeux bleus seraient dus aux radiations du soleil d’Arrakis sur son visage. L’argument principal de la comparaison est le soleil de Tressi, bien connu pour avoir coloré en jaune les yeux de la cinquième génération née là-bas.
— Piter de Vries serait arrakeen ? demanda Leto.
— Pas si nous en croyons les meilleures sources d’information, Sire.
Hawat se détourna et arpenta la pièce, les épaules voûtées, son visage tanné reflétant l’intensité de sa concentration.
— L’un des entrepreneurs que nous avons repérés possédait un laboratoire biologique amateur, avec plusieurs cages où étaient enfermés des rats kangourous dans un écosystème clos. Les dossiers montrent que ces rats sont tous nés dans cet écosystème à partir d’un stock non-arrakeen, qu’ils ne l’avaient jamais quitté et qu’on les nourrissait uniquement d’Épice. Ils étaient élevés dans un secteur isolé de toute radiation extérieure, mais ils avaient tous les yeux totalement bleus. N’oubliez pas qu’ils étaient uniquement nourris d’Épice.
— D’autres ont adhéré à cet argument, selon lequel la couleur des yeux serait due à l’Épice.
— Mais d’autres résultats font apparaître que lorsqu’on fait subir un sevrage de l’Épice à ces créatures, elles meurent plutôt que de reprendre un régime normal. (Hawat s’immobilisa et regarda le duc.) Ils meurent avec des symptômes évidents de manque de narcotique.
Le duc passa la langue sur ses lèvres, perplexe.
— Cela semble impossible. Je n’ai jamais entendu parler d’une pareille chose. Les gens sont nombreux à se servir régulièrement du mélange. Thufir, il fait partie intègrement de notre régime. Une chose est sûre, nous avons déjà eu connaissance de symptômes de manque. Moi-même, j’ai cessé d’en prendre pendant… Bon sang, Thufir ! Je sais que je peux continuer d’en prendre ou m’arrêter tout seul !
— Vraiment, Sire ? demanda Hawat sur un ton très doux.
— Mais je…
— Est-ce que tous ceux qui peuvent s’offrir régulièrement le mélange ont fait le test du sevrage ? Je ne parle pas des consommateurs occasionnels de la classe moyenne, mais de l’élite, de ceux qui peuvent se procurer facilement de l’Épice et qui connaissent ses pouvoirs gériatriques, ceux qui le consomment à haute dose quotidiennement comme un médicament délicieux.
— Ce serait monstrueux, dit Leto.
— Ce ne serait pas la première fois qu’un poison lent est mis sur le marché en se présentant sous le déguisement d’un bienfait public, répliqua Hawat. Sire, je vous invite à vous rappeler l’usage ancien du saturial, du semuta, de la vérité, du tabac, de…